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mardi 4 janvier 2011

Le Kruzenshtern, un portrait de l'ex-U.R.S.S....


grimper toujours grimper.. © bertrand desprez

Voilà vingt ans, le magazine Géo me passait commande d’un reportage sur un navire école de la marine marchande soviétique. Et oui, à l’époque, le bloc de L’URSS existait sur les atlas de géographie. Ce voilier, immense quatre-mâts barque de 126 m de long était une prise de guerre, d’où son nom allemand « Kruzenshtern ». L’équipage comprenait une trentaine d’hommes et femmes ainsi qu’une centaine de cadets de la marine marchande. Ceux-ci devaient effectuer un voyage d’apprentissage aux métiers de la mer durant trois mois. Le départ était fixé en Février 1991 dans le port d’Odessa, maintenant situé en Ukraine.

navigation de nuit © bertrand desprez
Les escaliers d'Odessa  © bertrand desprez 91









accrochons nous !! © bertrand desprez



Lieu mythique pour les images représentant une poussette au pied d’un escalier sans fin, partant du port jusqu’aux hauteurs de la ville, dans le film, « le cuirassier Potemkine » d’Eisenstein.



La mer était gelée, par moins vingt degrés, le départ fut donné dans des conditions épiques. À cette période de l’histoire de l’URSS, tout se désagrégeait très vite. L’approvisionnement en nourriture de base était difficile. Nous sommes finalement parti avec quelques jours de retard, sans laitage, ni fruits, et peu de légumes ! Pendant la première semaine, nous avons essuyé une tempête juste après le détroit des Dardanelles, en sortant de la mer Noire pour déboucher sur la mer Egée. Des bourrasques terribles et le bruit du vent dans les vergues, le bateau tremblait, on pouvait entendre l’ossature du bateau se plaindre. Nuit d’éclairs et d’angoisse pour tout l’équipage.
À bord tout s’organisaient autour des chefs de mat. Chacun représentant une région de l’ex-URSS. Le mat d’artimon dépendait des provinces baltes, le navire étant basé à Tallin. Le premier mat, Ukrainien, le deuxième, Moldave, le troisième, Russe et le quatrième Arménien. Tout cela sous l’œil d’un Zampolit, officier politique du KGB, chargé de nous surveiller et d’enseigner aux cadets les grandes lignes politiques de l’URSS. Le capitaine, lui, restait toujours sur la dunette pour superviser avec ses adjoints tout ce petit monde.
Le bateau avançait souvent au moteur, car les vents d’ouest étaient dominants et ne permettaient pas au bateau de naviguer sous voile. En effet, les grands quatre-mâts barques nécessitaient un vent portant et ne marchaient pas du tout au près (avec des vents latéraux). Le temps n’avait plus d’emprise sur nous. Sans escale et loin des terres, avec la mer pour tout horizon, l’impression d’un voyage sans fin devenait prégnante.
La troisième semaine un événement bouleversa la vie à bord. Gorbatchev  avait décidé d’organiser le vote sur la question de l’indépendance des pays Baltes. Il choisit de faire voter les bateaux en mer, pensant que cela pourrait influencer le résultat, plutôt vers le non. Le Zampolit était très fier et n’avait aucun doute sur le résultat. Malheureusement pour lui, l’équipage vota à 56 % en faveur du oui et il se retrouva déconfit, au moment d’annoncer les résultats !

le zampolit dans sa cabine




Le reste du voyage jusqu’à Santa Cruz de Ténériffe se passa sans problèmes. Juste une opération de l’appendicite au large de l’Espagne ! Au fond du bateau, dans  un bloc opératoire décoré d’images de danseuses étoiles, le chirurgien opéra sous anesthésie locale (péridurale) et voilà l’affaire qui fut rondement menée.
opération de l'apendicite !! avec anesthésie locale..
© bertrand desprez


Puis le  Kruzenshtern mit les voiles après le détroit de Gibraltar et enfin montra sa puissance et sa majesté. C’était un vrai plaisir de grimper aux échelles de cordages, de s’agripper aux vergues, le corps au-dessus du vide avec cette sensation de voler au-dessus de l’eau. Les cadets, après quelques appréhensions dues au vertige, grimpaient avec une agilité déconcertante, montrant que l’homme était capable de prouesses en matière de voltige aérienne.
© bertrand desprez


À l’arrivée, les cadets étaient émus. Ils foulaient pour la première fois de leurs vies la terre d’un pays autre que l’URSS. Difficile à imaginer pour des touristes planétaires comme nous.
Lorsque je rentrai à Paris avec mon ami journaliste, Jean François Pahun, il était évident pour nous que le sujet avait pris un angle plus géopolitique et qu’il devait passer dans le magazine rapidement. Malheureusement, il fut mis « au frigo ». Entre temps l’URSS implosait et au mois de novembre, ce grand bloc n’existait plus. Géo n’avait toujours pas prévu de passer le sujet. Finalement il fut publié en mars 1992 et n’ayant plus aucune raison de lui donner un angle géopolitique, il finit en récit de voyage, sur un grand voilier, perdant ainsi sa dimension historique .
Les images de la vie à bord, boulangerie, bloc opératoire, zampolit du KGB, n’ont jamais été publiées.



les mats vertigineux  © bertrand desprez

la peur de grimper !! © bertrand desprez
avant la tempête  © bertrand desprez



presque toutes ses voiles ! © bertrand desprez

© bertrand desprez

les cours politiques par l'officier du KGB  © bertrand desprez



© bertrand desprez



réparation des voiles










odessa © bertrand desprez

échec et mat, les cadets s'accordent un peu de repos
© bertrand desprez

vertige ???

Les couchettes spartiates


Souquez !




les chef de mats au rapport
l'arrivée à santa cruz



le bateau à quai, à santa cruz
© bertrand desprez

1 commentaire:

  1. Ce reportage m'a tellement fait rêver. Et cette photo, de Mischa, si je ne me trompe, que tu avais offerte à Juju !

    Je crois que ce travail est celui qui m'a le plus marqué. Pas d'un point de vue politique... Mais d'un point de vue imaginaire. J'en rêvais de ce voyage.

    Ces photos sont tellement belles !

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