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jeudi 17 février 2011

Imaginaire G, histoire d'une collection


Ils furent nombreux à être sollicités pour trouver un nom aux collections qui allaient devenir « Tel » et « L'Imaginaire » : Michel Butor proposa « Ici et Là » (« Ici » pour les essais, « Là » pour la littérature), Claude Roy pensa à « Elita », « Prior » et « Voix »… On retint d'abord « Paroles », en hommage à Prévert, pour préférer finalement, courant 1976, « L'Imaginaire ».


Et quelle collection ! Déjà les couvertures se distinguent par un graphisme épuré, une typographie soignée. Imaginaire pour un inventaire d'écrivains aux préoccupations infinies, Du Savon de Ponge au Bleu du Ciel de Bataille, d'Absalon Absalon de Faulkner à Inferno de Strindberg. Des recherches sur le sens des mots, l'assemblage des phrases et la structure du texte. Des voyages au coeur de la pensée, de l'imaginaire, celui qui pousse l'homme dans ses retranchements et l'amène à créer et découvrir de nouveaux horizons. La littérature comme un immense laboratoire où tous les essais sont permis, même les plus explosifs. Le monde des lettres et ses multiples labyrinthes où chacun peut se perdre pour le plaisir des sens. 





LE SAVON :


Si je m'en frotte les mains, le savon écume, jubile...
Plus il les rend complaisantes, souples, liantes, ductiles, plus il bave, plus sa rage devient volumineuse et nacrée... Pierre magique ! Plus il forme avec l'air et l'eau des grappes explosives de raisins parfumés... L'eau, l'air et le savon se chevauchent, jouent à saute-mouton, forment des combinaisons moins chimiques que physiques, gymnastiques, acrobatiques... Rhétoriques ? Il y a beaucoup à dire à propos du savon.
Exactement tout ce qu'il raconte de lui-même jusqu'à disparition complète, épuisement du sujet. Voilà l'objet même qui me convient.



Francis Ponge , magicien des descriptions savonneuses !



W OU LE SOUVENIR D'ENFANCE
" Je n'écris pas pour dire que je ne dirai rien, je n'écris pas pour dire que je n'ai rien à dire. J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leurs corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture : leur souvenir est mort à l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie." (Georges Perec"W ou le souvenir d'enfance", L'imaginaire, Gallimard, chapitre VIII, pages 63-64)





INFERNO de Strindberg
Inferno retrace son existence paranoïaque aux allures d'enfer sur terre. Né d'un amour ancillaire, l'écrivain est persuadé d'être condamné à la démence par le fait même d'être venu sur terre pour y mourir. L'achat d'une chemise lui fait entrevoir le linceul à venir. Au cours de son autoanalyse, il ne cesse de «radioscoper» les mouvements de son âme. Son récit retrace les «visions» successives d'une victime des syndromes de la persécution. Renonçant à la littérature, il s'adonne à la chimie et à la transmutation des métaux dans le but d'obtenir de l'or!


Strindberg a vécu la rage d'écrire comme Van Gogh celle de peindre. Ses descriptions de Paris sont celles d'un piéton incandescent qui voit dans chaque heure un adieu à l'existence. Parmi les fêtards, il ressent trop le dégoût de vivre. Les gens l'angoissent avec leur manière de faire semblant d'oublier la mort. L'exilé ne concède rien à l'imposture des faux sentiments. «Le désordre, c'est la liberté...» Le 14 mai 1912, Strindberg prouve le bien-fondé de son introspection et meurt, à soixante-trois ans, après avoir révélé la présence du carbone dans le soufre. Question soufre, il s'y connaissait.

portrait d'August Strindberg
Peinture d'August Strindberg
Peinture d'August Strindberg


ABSALON ABSALON

« Ou peut-être n’est-ce pas non plus manque de courage : pas de la lâcheté, qui refuse d’affronter cette maladie située quelque part à l’origine première de cette trame de faits d’où l’âme prisonnière, distillant ses miasmes, monte sans cesse tumultueusement vers le ciel et le soleil, remorque ses veines et ses artères ténues et prisonnières et emprisonne à son tour cette étincelle, ce rêve qui, tandis que l’instant sphérique et parfait de la libération reflète et reproduit (reproduit? crée, réduit à un fragile globe évanescent et irisé) tout l’espace et le temps et la masse de la terre, se défait du magma méphitique anonyme et grouillant qui durant toutes les années du temps ne s’est appris aucun des bienfaits de la mort, mais seulement à recréer, à recommencer ; et qui meurt, évanoui, disparu : plus rien – mais qui est cette véritable sagesse capable de comprendre qu’il existe un aurait-pu-être plus vrai que la vérité, d’où le rêveur s’éveille non en disant « Ai-je simplement rêvé? » mais plutôt, accusant toute la puissance du ciel en personne, demande : « Pourquoi me suis-je éveillé, puisque éveillé jamais plus je ne me rendormirai? »"
William Faulkner, Absalon! Absalon!
Essoufflé, subjugué par l'énergie, puis mis KO par la force de frappe d'un auteur puissant !


guerre de sécession











L'ALEPH de Borgès
« L'Aleph restera, je crois, comme le recueil de la maturité de Borges conteur. Ses récits précédents, le plus souvent, n'ont ni intrigue ni personnages. Ce sont des exposés quasi axiomatiques d'une situation abstraite qui, poussée à l'extrême en tout sens concevable, se révèle vertigineuse. 
Les nouvelles de L'Aleph sont moins roides, plus concrètes. Certaines touchent au roman policier, sans d'ailleurs en être plus humaines. Toutes comportent l'élément de symétrie fondamentale, où j'aperçois pour ma part le ressort ultime de l'art de Borges. Ainsi, dans L'Immortel : s'il existe quelque part une source dont l'eau procure l'immortalité, il en est nécessairement ailleurs une autre qui la reprend. Et ainsi de suite...
Borges : inventeur du conte métaphysique. Je retournerai volontiers en sa faveur la définition qu'il a proposée de la théologie : une variété de la littérature fantastique. Ses contes, qui sont aussi des démonstrations, constituent aussi bien une problématique anxieuse des impasses de la théologie. »
Roger Caillois.









« Ce n'est pas diminuer les autres collections de réimpressions que de constater que "l'Imaginaire" est la plus précieuse. Tout simplement parce que Gallimard extrait de sa caverne d'Ali Baba des trésors si rares que seuls quelques spécialistes en avaient gardé le souvenir. »

(Pierre Lepape. Télérama, 9 mars 1983)







Les meilleures ventes du fonds (au-delà de 60 000 ex.) : Marguerite YourcenarLes Nouvelles orientales Georges PerecW ou le souvenir d'enfance Georges PerecLa Disparition Jorge Luis BorgesL'Aleph Paul BowlesUn thé au Sahara Henri MichauxUn barbare en Asie 
Vincent Van GoghLettres à son frère Théo Marguerite DurasLe Vice-consul 
William BurroughsLe Festin nu Jean GenetQuerelle de Brest










1 commentaire:

  1. Bonjour Bertrand!
    Merci d'évoquer cette collection qui a accompagné mon parcours de lectrice, et surtout de commencer avec W, un texte qui m'est particulièrement cher. Et Absalon!, les Borges... C'est aussi grâce à L'Imaginaire que j'ai découvert Frederic Prokosch, Marelle de Cortazar, que j'ai lu Bataille, Extiction de Thomas Bernhard, Michel Leiris, Blanchot, Feu Pâle et Ada de Nabokov, et des dizaines d'autres...
    Oui, une collection dans laquelle on se perd ... et se retrouve. Décidément votre blog est une véritable mine et c'est un plaisir que de s'y promener.
    Amitiés
    Anne-Françoise

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